Ce volet du projet propose d’explorer la manière dont les traumatismes psychiques sont articulés à travers le langage par les personnes vivant en zone de conflit. En se concentrant sur les récits personnels des apprenant.e.s ayant subi la guerre et des communautés ciblées par les groupes armés, l’étude vise à dévoiler les schémas linguistiques associés aux expériences de la guerre, du déplacement forcé et de la confrontation à la mort.
Plus précisément, le projet vise l'analyse approfondie des récits de ces personnes pour comprendre comment l'expérience de la guerre modifie la façon dont elles expriment leur souffrance psychique. Cela implique d'explorer les influences culturelles et contextuelles sur leur discours, ainsi que les mécanismes narratifs employés pour traduire ces expériences traumatisantes, notamment les métaphores, les silences et les répétitions.
Les conflits armés engendrent des conséquences psychologiques profondes, notamment pour les populations les plus vulnérables, comme les enfants et les adolescents. Entre 2014 et 2017, l'Irak et la Syrie ont été le théâtre de violences extrêmes sous l'État Islamique (EI), exacerbant les traumatismes psychiques au sein de ces jeunes populations. Cette période a été marquée par des actes de guerre brutaux, des déplacements massifs de populations, et l'exposition directe à des scènes de violence, modifiant à jamais la trajectoire de vie de ces jeunes.
L’impact du conflit sur la psyché des enfants et des adolescents
Les enfants et les adolescents en Irak et en Syrie ont été soumis à un environnement de guerre omniprésent, où les menaces physiques et psychologiques étaient constantes. Les traumatismes psychiques induits par de telles expériences peuvent se manifester sous diverses formes, allant du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) à des troubles dépressifs, anxieux, ou dissociatifs.
Le SSPT, en particulier, est une réponse fréquente aux événements traumatisants tels que la perte de membres de la famille, l’exposition à des actes de violence extrême, ou la destruction de leur environnement. Les symptômes incluent des cauchemars, des flashbacks, une hypervigilance, ainsi que des sentiments d'impuissance et de désespoir. Ces enfants sont souvent pris dans un cercle vicieux où le traumatisme non résolu engendre des réactions émotionnelles intenses qui, à leur tour, aggravent leur état psychique.
Les enfants soldats et l’endoctrinement
Un autre facteur aggravant est le recrutement d'enfants soldats par l'État Islamique, une pratique qui a marqué cette période. Ces enfants ont non seulement été témoins de la violence, mais ont également été contraints d'y participer activement, ce qui a profondément altéré leur développement psychologique. Le processus de désensibilisation à la violence, combiné à un endoctrinement idéologique, a créé un état de confusion identitaire et de conflit moral intense. Les enfants soldats sont souvent plongés dans un état dissociatif, un mécanisme de défense psychologique face à des situations insupportables. À long terme, cela peut mener à des troubles de la personnalité, une incapacité à faire confiance, et des comportements antisociaux.
Les déplacements et l'instabilité
La guerre a également forcé des millions de familles à fuir leurs foyers, entraînant des déplacements internes ou des réfugiés dans des pays voisins. Les enfants et les adolescents déplacés sont confrontés à une insécurité chronique, une perte de repères, et une rupture des réseaux de soutien social. Cette instabilité exacerbe les sentiments d'anxiété et de désespoir, et augmente le risque de développer des troubles psychiques. Le déracinement culturel et la précarité économique sont autant de facteurs de stress supplémentaires qui pèsent sur leur santé mentale.
Conséquences à long terme et besoins de réhabilitation
Les effets psychologiques de ces traumatismes de guerre se prolongeront bien au-delà de la fin des hostilités. Sans intervention appropriée, ces enfants risquent de voir leurs troubles psychiques se chroniciser, entraînant des difficultés d'adaptation sociale et émotionnelle à l'âge adulte. La réhabilitation psychologique de ces jeunes nécessite des approches thérapeutiques adaptées à leur contexte culturel et aux spécificités des traumatismes subis. Cela inclut des thérapies cognitivo-comportementales, un soutien psychologique continu, et la reconstruction de leurs identités dans un cadre sécurisant et stable.
L'un des signes les plus frappants de l'expression linguistique des traumatismes psychiques est l'altération ou la perte partielle du langage, souvent manifestée par le mutisme. Les personnes, en particulier les enfants, qui ont vécu des événements traumatisants peuvent devenir incapables de verbaliser leurs expériences
Ce mutisme peut être total ou sélectif, et il est souvent associé à un état de choc émotionnel profond. Les traumatismes inhibent l'accès aux ressources linguistiques nécessaires pour articuler la douleur, la peur, ou l'angoisse ressentie. Ce phénomène est particulièrement observé chez les personnes qui ont vécu des violences extrêmes ou des situations de terreur prolongée.
Un autre aspect fréquent est la fragmentation du discours. Les individus traumatisés peuvent avoir du mal à raconter leurs expériences de manière cohérente, souvent en raison de la nature intrusivement fragmentaire de leurs souvenirs traumatiques. Leur discours peut devenir désorganisé, avec des sauts de sujet imprévus, des répétitions ou des trous de mémoire.
Cette désorganisation reflète une difficulté à structurer et à intégrer l'expérience traumatique dans un récit cohérent, en raison de l’impact de l’événement sur les processus de mémoire et de cognition. Les pensées deviennent désordonnées, et le langage suit ce chaos intérieur, exprimant l’impossibilité de mettre en mots une expérience trop douloureuse ou incompréhensible.
Les personnes ayant subi des traumatismes psychiques recourent souvent aux métaphores, symboles ou récits indirects pour exprimer ce qu’ils ne peuvent dire directement. Les métaphores servent à détourner l’attention des détails crus de l’expérience traumatisante, tout en permettant de communiquer une part de l'émotion ou de la souffrance liée à l'événement.
Par exemple, un enfant ayant vécu un bombardement pourrait parler de « monstres » ou de « tempêtes » pour évoquer le danger sans revivre directement la terreur associée à l'événement réel. Ces expressions symboliques sont un moyen pour l'esprit de traiter l'expérience d'une manière plus gérable, en transformant la réalité traumatique en images moins effrayantes.
Les traumatismes psychiques sont également exprimés par l'usage de silences et d’ellipses dans les récits. Les silences peuvent représenter des moments où les mots font défaut, ou où le traumatisé choisit consciemment d'éviter de revivre certains aspects de l'expérience en les omettant.
Ces ellipses narratives révèlent des zones de l'expérience qui restent inaccessibles, même à la réflexion consciente. Elles sont autant d’indicateurs de la profondeur de la blessure psychique. Le silence, ici, devient une langue en soi, exprimant ce qui ne peut être articulé verbalement, et signalant les limites du langage face à l'indicible.
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